Les photographies de la « Semaine tragique » dans la presse illustrée catalane : les images d’une insurrection

Photographic images of «Tragic Week» in the catalan illustrated press: the images of an insurrection

Las fotografías de la ‘Semana Trágica’ en la prensa ilustrada catalana: las imágenes de una insurrección

 

Jean-Paul Aubert

Université Nice Sophia Antipolis

Membre de l’Université Côte d’Azur

LIRCES (EA 3159)

Jean-Paul.AUBERT@unice.fr

Résumé :

La présente étude porte sur les images photographiques de la « Semaine Tragique », telles qu’elles furent diffusées dans la presse illustrée au cours des semaines qui suivirent l’insurrection. Il s’agit, dans un premier temps de proposer un recensement des photographies de presse qui rendent compte de la révolte populaire qui secoua Barcelone et sa région entre le 26 juillet et le 2 août 1909. L’approche thématique et formelle privilégiée dans la suite de cette enquête permet de dégager les principales lignes de force qui traversent un corpus composé de près de 250 clichés et montre comment, dès sa naissance, la photographie de reportage participe à la fabrication d’un récit orienté des événements.

 

Abstract:

The present study deals with the photographic images of "Tragic Week", as they were published in the illustrated press in the weeks following the insurrection. The first step is to propose a census of press photographs that reflect the popular revolt that shook Barcelona and its region between 26 of July and 2 of August 1909. The thematic and formal approach favoured in the rest of this paper makes it possible to identify the main lines of force which cross a corpus composed of nearly 250 photographs and shows how, from its birth, reportage photography participates in the making of an oriented narrative of events.

 

Resumen:

Este estudio se centra en las imágenes fotográficas de la "Semana Trágica" publicadas en la prensa ilustrada en las semanas posteriores a la insurrección. Se trata, en un primer momento, de proponer un censo de las fotografías de prensa que reflejan la revuelta popular que sacudió Barcelona y su región entre el 26 de julio y el 2 de agosto de 1909. El enfoque temático y formal elegido a continuación permite identificar las principales líneas de fuerza que recorren un corpus compuesto por cerca de 250 fotografías y muestra cómo la fotografía de reportaje contribuye a la producción de una narración orientada de los eventos.

 

Mots clés : Semaine Tragique ; Barcelone ; Photographie

 

Keywords: Tragic Week; Barcelona; Photographies

 

Palabras claves: Semana Trágica; Barcelona; Fotografías

 

 

 

 

 

Du 26 juillet au 2 août 1909, Barcelone et plusieurs autres villes catalanes sont secouées par une révolte populaire d’une ampleur inédite. Ces événements, connus sous le nom de « Semaine tragique »[1], trouvent leur origine dans le refus d’une partie de la population barcelonaise de laisser les soldats réservistes s’embarquer pour le Maroc où l’Espagne mène une guerre coloniale. Les premières manifestations débouchent rapidement sur une grève générale, puis sur une remise en cause plus profonde de l’ordre social et politique. Épicentre de la révolte, Barcelone se hérisse de barricades. Des comités révolutionnaires voient le jour tandis que la révolte prend un tour de plus en plus anticlérical et que des édifices religieux sont incendiés. Très vite cependant, l’insurrection est noyée dans le sang et la répression s’abat sur la population ouvrière et sur ceux que les autorités considèrent comme les meneurs. Parmi ceux-là figure notamment le libre-penseur et pédagogue, fondateur de la « Escuela Moderna », Francisco Ferrer i Guardia. Arrêté, condamné à mort, il est exécuté le 13 octobre. La définition même des événements, révolte spontanée ou véritable Commune révolutionnaire, fit, sur le moment même, l’objet de controverses. La question fait encore débat parmi les historiens (Pich Mitjana, 2015, pp. 173-206). Mais, ce qui ne fait guère de doute, en revanche, c’est que la « Semaine Tragique » marque une prise de conscience syndicale et politique du prolétariat barcelonais et pose un jalon important de l’histoire de l’anarco-syndicalisme en Catalogne. Elle préfigure aussi d’autres tragédies du vingtième siècle espagnol et met déjà aux prises quelques-uns de ceux qui en seront les principaux acteurs : l’Armée, l’Eglise, le mouvement anarchiste, le républicanisme.

La présente étude porte sur les images photographiques de la « Semaine Tragique » telles qu’elles furent diffusées par la presse de l’époque. L’intérêt de la recherche universitaire pour la photographie des événements révolutionnaires n’est pas nouveau. On connaît les études menées sur les photographies de la Commune de Paris, elles seront régulièrement convoquées tout au long de cet article. On peut également citer l’ouvrage récent que Marion Gautreau consacre à la photographie de la Révolution mexicaine (Gautreau, 2007) ou celui d’Olivier Ihl centré sur une photographie emblématique de la Révolution de 1848 (Ihl, 2016). Les photographies de presse de la « Semaine tragique » barcelonaise ont, quant à elles, fait l’objet d’enquêtes partielles. On pense en particulier à l’article de Francesc Espinet Burunat, « De la Solidaritat Catalana a la Setmana Tràgica. La premsa il.lustrada barcelonina » dont une partie est consacrée à la presse graphique (Espinet Burunat, 2012). Toutefois, à notre connaissance, une étude systématique des photographies de presse publiées dans les jours qui suivent les événements de Barcelone fait encore défaut[2]. Notre projet n’est évidemment pas d’envisager toutes les photographies de la « Semaine Tragique », mais, plus modestement, de dégager les principaux thèmes photographiques retenus et de soulever quelques questions quant aux stratégies que sous-tend l’utilisation de la photographie dans la presse, et plus particulièrement dans la presse illustrée[3].

 

1. Les photographies de la « Semaine Tragique » dans la presse catalane : une évaluation quantitative

Il va sans dire qu’en limitant notre corpus à la presse, nous abordons les photographies sous l’angle du rapport très particulier qu’elles entretiennent avec le quotidien ou la revue qui leur servent de support. Au début du vingtième siècle, la presse écrite s’est imposée comme un véritable media de masse dont l’audience n’a cessé de croître en dépit d’un taux d’analphabétisme encore élevé (Espinet Burunat, 1997 ; Gómez-Mompart, 1992). Nous ne disposons pas de données pour l’année 1909, mais on sait, en revanche, qu’en 1905, La Vanguardia était le quotidien catalan d’information générale qui tirait le plus grand nombre d’exemplaires (18 000), suivi de Las Noticias, El Noticiero Universal et El Diluvio (10 000 exemplaires chacun, environ), El Correo Catalán, El Diario de Barcelona et La Publicidad (7 000 exemplaires environ). Venait enfin La Veu de Catalunya avec 4 000 exemplaires (Espinet Burunat, 1997). Il convient de souligner, par ailleurs, les tirages élevés d’hebdomadaires satiriques comme La Campana de Gracia ou La Esquella de la Torratxa (environ 30 000 exemplaires chacun). Huit ans plus tard, selon les statistiques officielles publiées par l’Instituto Geográfico y Estadístico, le tirage de La Vanguardia s’élève à 58 000 exemplaires, celui de Las Noticias à 40 000, de La Publicidad à 25 000, celui de La Veu de Catalunya atteint les 20 000 exemplaires. Ces données ne reflètent cependant que d’une manière imparfaite l’audience réelle de ces différents journaux dont on sait qu’elle était bien supérieure au nombre d’exemplaires imprimés. Les travaux de Francesc Espinet sur la pénétration de ces diverses publications au sein de la population montrent en effet que La Veu de Catalunya, La Publicidad et La Vanguardia étaient, dans cet ordre, les plus lus Espinet Burunat, 1997.

En Catalogne, de nombreuses publications se disputent donc un lectorat sans cesse croissant. Les enjeux sont autant économiques que politiques. Quotidiens d’informations, journaux d’opinion, hebdomadaires satiriques reflètent la diversité des courants de pensées qui traversent la société catalane. Toutefois, aux premiers jours d’août 1909, cette pluralité est mise à mal par la censure qui s’abat sur la presse. Dès le 26 juillet, le Capitaine Général de la province, Luis de Santiago Manescau, proclame l’état de guerre et instaure un contrôle de l’information :

Quedan sometidas a la previa censura las publicaciones por medio de la imprenta u otro medio mecánico de publicación a cuyo efecto se remitirán con la antelación conveniente dos ejemplares en Barcelona, al Estado Mayor de esta Capitanía General, y en las demás localidades, a las Comandancias Militares y a falta de éstas a los Alcaldes; no pudiendo publicarse hasta que uno de ellos sea devuelto con el sello correspondiente, en la inteligencia que se suprimirá toda la parte del impreso, dibujo o grabado que haya sido tachado (Algué Sala, Tenci, 2009, p. 26).

 

La première page des éditions du 1er août de La Vanguardia et de La Veu de Catalunya, ou celle du journal satirique La Campana de Gracia, daté du 3 août, s’ouvrent sur une même « note informative » émanant des autorités. Le récit officiel des événements est précédé de l’avertissement suivant :

En una reunión celebrada por varios representantes de la mayoría de los periódicos locales, con unanimidad absoluta y elevado espíritu en pro de la pública tranquilidad, de la necesaria paz y de los altos intereses de la ciudad, se convino aceptar como común una nota informativa de los sucesos acaecidos en Barcelona desde el 26 del actual al 30 del mismo, hecha de acuerdo con las instrucciones de la censura militar.

 

La presse catalane autorisée à reparaître semble assumer sans amertume particulière, et au nom de la paix civile, le rôle qu’entend lui assigner l’autorité militaire. D’une manière générale les journaux vont rivaliser d’exclamations outrées et de superlatifs scandalisés pour condamner le désordre. Le terme de « salvatjes » s’impose rapidement dans La Veu de Catalunya pour qualifier les auteurs de ce que le journal qualifie de « fets vandàlichs ». En tant que canal d’expression de la Lliga Regionalista, La Veu de Catalunya donne le point de vue d’une bourgeoisie nationaliste catalane effrayée par la tournure prise par les événements et animée par un esprit de vengeance[4]. De son côté, la revue La Ilustració Catalana évoque « La gran vergonya ». C’est donc dans un contexte de subordination de la presse d’information au pouvoir militaire qu’il convient d’analyser les photographies de la « Semaine Tragique » qui illustrent ses colonnes.

Au sein de la presse quotidienne, celles-ci sont encore rares. Aucune image des événements barcelonais ne vient illustrer La Vanguardia. Cela peut sembler curieux alors même que le quotidien offre régulièrement des clichés de la Guerre du Rif. La Veu de Catalunya a moins de réticences à l’égard des images. Le 4 août, le journal met en « Une » une photographie légendée « La setmana trágica. Dimars [sic], 27 de juliol. – Un episodi de la lluita al Paralel ». S’il faut en croire la date indiquée par le journal, les faits remontent aux premières heures de l’insurrection. Dans l’édition du lendemain, le 5 août, la photographie de la façade d’un immeuble criblé d’impacts de balles est accompagnée d’un titre explicatif : « La setmana trágica. Poble Nou - Un balcó canonejat ». Le sept août, un nouveau cliché montre un tramway couché sur le flanc et entièrement calciné. La légende précise : « La setmana trágica. Tranvía volcat el dilluns y cremat el dimars al capdemunt del carrer de Bailen [sic]davant del de Sant Martí ». Le 9 août, deux images illustrent encore la première page du journal. L’une intitulée « Com era abans », montre l’église de Las Gerónimas d’après un dessin réalisé en 1870. L’autre, titrée « Cóm es avuy » est un cliché de ce même édifice « després de cremada, desde la porta o cancell ». Cette photographie inaugure une longue série de prises de vues de bâtiments religieux incendiés. Le 10 août, le journal publie une vue d’ensemble d’« El Colegi dels Pares Escolapia, després de la crema. Vista presa desde’l carrer de la cera ». Comme c’était déjà le cas dans l’édition de la veille, le cliché qui accompagne le récit outré de l’incendie, veut témoigner de la sauvagerie des assaillants. Le 11 août, le lecteur découvre une photographie de l’intérieur de l’église de Sant Antoni Abat après qu’elle a été ravagée par les flammes. La succession des photographies publiées par La Veu de Catalunya propose un récit des événements guère éloigné de celui qu’en offre la presse illustrée, comme nous le verrons plus loin.

La presse graphique est, bien entendu, moins avare en photographies que ne l’est la presse d’information quotidienne. Toutefois dessins et gravures y occupent encore, en ce début du vingtième siècle, une place importante et sont loin d’avoir été totalement supplantés par la photographie. Ainsi l’hebdomadaire satirique Papitu consacre-t-il plusieurs dessins à la « Semaine Tragique », mais ne publie aucune photographie. La Campana de Gracia se contente d’un seul cliché des événements dans son numéro du 3 août : « El convent dels escolapis de la Ronda de Sant Antoni, incendiàt ». ¡Cut-cut ! publie, pour sa part, onze photographies au total dans ses numéros des 5 et 12 août. Enfin, La Esquella de la Torratxa, publie neuf photographies le 2 août, puis cinq autres le 6 août.

Il faut donc se tourner vers « los ilustrados », c’est-à-dire des magazines dont la matière première est la photographie, pour trouver les reportages graphiques les plus consistants. Dans son numéro spécial daté du 28 août, la revue La Actualidad offre à ses lecteurs pas moins de 91 photographies de la « Semaine Tragique », 78 d’entre elles ayant déjà été publiées dans les numéros antérieurs (datés du 27 juillet, 5, 10, 17 et 24 août). La Ilustració catalana, première grande revue illustrée écrite intégralement en langue catalane, n’est pas en reste avec 70 photographies en tout, dont 64 sont publiées le 8 août, et 6 le 15 août. Enfin, La Hormiga de Oro. Ilustración Católica publie au total 56 clichés dans ses numéros du 31 juillet et des 14, 21 et 28 août.

Au total, les trois grandes revues illustrées que compte la Catalogne publient environ 240 photographies. Ce nombre relativement important tend à confirmer l’idée couramment admise selon laquelle la « Semaine Tragique » marque les véritables débuts de la photographie de presse en Catalogne. Au même moment, la « Guerre de Melilla », dont les événements barcelonais sont, en partie, la conséquence, bénéficie d’une couverture médiatique importante et donne lieu à de nombreux reportages photographiques publiés dans la presse madrilène. Les progrès réalisés afin de rendre les appareils photographiques plus compacts et donc plus maniables permettent en effet aux photographes de se rapprocher de l’événement. Le nombre de photographes augmente également très sensiblement. D’après Francesc Espinet, en 1900, on compte en Catalogne 71 photographes inscrits au registre professionnel (Espinet Burunat, 2012). Le fait que la plupart des photographies de la « Semaine Tragique » publiées dans la presse soient signées est du reste interprété par Francesc Espinet comme un indice de la reconnaissance dont jouissent désormais les reporters photographiques:

El procés evolutiu de la firma de les imatges fotogràfiques a la premsa durant la primera dècada del segle passa per un primer moment en què només apareixen signades les fotografies que no il.lustren l’actualitat, sinó que, d’una o altra manera, són considerades “artístiques”; poc després [...] es generalitza l’atribució de la fotografia d’actualitat a l’empresa editora de la publicació (i també a algun fotògraf adscrit en exclusiva a la publicació, com si fos de plantilla), per a finalment aparèixer a peu de foto el nom del seu autor (ja en alguns casos des del 1906, però de manera general des de la guerra de Melilla i la Setmana Tràgica, encara que no totes les publicacions seguiran aquest camí) (Espinet Burunat, 2012, p. 188).

 

Le nombre conséquent de photographies de la “Semaine Tragique” publiées par la presse illustrée répondait, à n’en pas douter, à une attente du lectorat, avide d’images des événements. Les revues illustrées ne laissèrent pas passer cette opportunité d’augmenter leurs ventes. la revue La Actualidad publie le 28 août un numéro spécial qui reprend nombre de photographies présentes dans les éditions précédentes. La ilustració catalana annonce, pour sa part, dans son numéro du 15 août, sa décision de procéder à un retirage de l’édition précédente. Un choix que la revue justifie par l’épuisement du numéro 322, dont le tirage avait pourtant été augmenté, et par le désir de permettre à tous ses lecteurs de pouvoir conserver les souvenirs photographiques de la “Semaine tragique” :

La primera edició d’aquell número, ja aumentada considerablement, va ser insuficient pera satisfer les demandes que de tot Catalunya se’ns han fet aquets díes, de tal manera, que’ns hem vist obligats a fer una segona edició que va posarse a la venda el passat divendres al mateix preu de DOS RALS el número.

Fem pública aquesta noticia perque, ademés de sér un dels èxits més grans de la nostra ilustració servexi d’avis als corresponsals, als suscriptors y al públich que, desitjosos de conservar un document gràfich de tanta vàlua, vulga adquirirlo. Se ven a tot arreu[5].

 

2. Les photographies de la « Semaine Tragique » dans la presse illustrée : approche thématique

En examinant le corpus spécifique des 240 clichés publiés par la presse illustrée catalane, on parvient à dégager trois grands ensembles thématiques. Le premier correspond aux images de la révolte à proprement parler. Ce sont des clichés de scènes d’émeute ou de manifestations de rue, de barricades, d’édifices en flammes, de civils blessés que l’on transporte vers les hôpitaux. Ces images ont généralement été prises dans les premiers jours de l’insurrection. Le deuxième ensemble comprend des photographies prises au cours de la seconde moitié de la « Semaine Tragique » et mettent en scène le retour à l’ordre. La figure dominante est celle du soldat. Les militaires occupent la rue, démontent les barricades, conduisent les prisonniers vers on ne sait quel destin, posent devant les cadavres d’insurgés, défilent triomphalement dans la ville soumise. Enfin, le dernier ensemble regroupe les photographies d’édifices en ruines, prises dans la plupart des cas, dans les jours qui ont suivi l’insurrection. Trois grands axes thématiques donc, qui semblent justifier le qualificatif de « tragique », que la presse attribue volontiers à la dernière semaine de ce mois de juillet 1909, car elle forme effectivement le récit d’une véritable tragédie en trois actes : la révolte, la répression, la désolation.

Une histoire de la « Semaine Tragique » qui ne s’appuierait que sur les documents photographiques publiés dans la presse donnerait donc des événements une idée on ne peut plus schématique. Et cela d’autant plus que les trois catégories sont loin d’être équilibrées. La première représente seulement 10,4% du total des photographies recensées ; la deuxième, 11,2%, la dernière, de loin la plus importante en nombre, concerne 71% des clichés. On atteint pratiquement les 100%, en ajoutant les portraits photographiques de quelques-uns des protagonistes, responsables politiques ou militaires, soldats ayant fait preuve de bravoure, prêtres victimes de la révolte (qui représentent 5,4% de l’ensemble considéré).

Il est intéressant, à ce stade, de constater que moins d’un quart des photographies saisissent l’événement en lui-même, c’est-à-dire dans ses deux phases principales, insurrectionnelle et répressive. Les trois-quarts des images publiées s’intéressent plutôt aux conséquences de la révolte à travers l’évocation des dégâts causés par les « fauteurs de troubles ». Les revues illustrées ne proposent aucune image de combats à proprement parler. On n’y trouve que très peu d’images de manifestations ou d’attroupements. Les rares clichés d’insurgés ou de soldats saisis dans le feu de l’action n’en sont que plus précieux. La revue Ilustració Catalana ouvre son numéro du 8 août sur l’image spectaculaire d’une foule massée devant « Lo Colegi [sic]dels Pares Escolapis, a la Ronda de Sant Antoni, comensant [sic]a cremar».

Ilustració Catalana, 9 août 1909 (photographie : Frederic Ballell) © Biblioteca Nacional de España

 

Ce bâtiment fut probablement le premier à être incendié. Sur cette photographie signée Ballell, et qui, preuve de l’intérêt qu’elle suscitait, avait déjà été publiée par La Hormiga de oro dans son édition du 31 juillet, il est difficile de dire si la foule qui occupe toute la partie inférieure de l’image est composée de manifestants ou de simples spectateurs. Néanmoins, la fumée qui s’élève du bâtiment et le commentaire d’accompagnement semblent indiquer que la photographie fut prise dans les premiers instants de l’incendie Non moins spectaculaire, cette photographie de Frederic Ballell publiée dans La Hormiga de oro du 31 juillet et intitulée « Los revoltosos preparando una barricada » :

La Hormiga de oro, 31 juillet 1909 (photographie : Frederic Ballell) © Biblioteca Nacional de España

 

On est, cette fois, dans le feu de l’action, ce que souligne l’emploi dans le titre de la forme gérondive. Tandis qu’au premier plan des ouvriers dépavent les rues, un peu plus loin, d’autres s’activent afin d’édifier la barricade. Sur la gauche, un individu observe le photographe. Emblèmes de la révolte populaire (Hazan, 2013), les barricades ne sont pas absentes de notre corpus, quoique leur présence semble considérablement minorée au regard de leur nombre réel. On estime, par exemple qu’au cours de la journée du 26 juillet, 76 barricades furent érigées dans le seul quartier de Gracia. Il faut souligner en outre le fait que, dans la plupart des cas, celles-ci ne sont photographiées qu’une fois désertées par les insurgés ou reprises par la troupe. On ne trouve que très peu d’images de révolutionnaires prenant fièrement la pause sur les barricades comme c’est le cas sur de nombreux clichés pris lors de la Commune de Paris (Lapostolle, 1988, pp. 67-76). Deux photographies d’Enric Castellà publiées dans le numéro spécial de La Actualidad, daté du 28 août, nous offrent cependant l’image d’une révolution triomphante, quoique pour un bref instant :

  

La Actualidad, 28 août 1909 (photographie : Enric Castellà) © Biblioteca Nacional de España

 

Sur les deux images, les insurgés sourient en direction du photographe. Sur leurs visages se lisent la joie et la fierté. La ville leur appartient. On peut comprendre la rareté de telles photographies qui donnaient une image finalement souriante de la révolution et qui, par ailleurs, pouvaient laisser croire à une forme de connivence entre mutins et photographe. Publiées un mois après les événements, ces images avaient certainement perdu une bonne part de leur éventuelle vigueur subversive. Mais elles n’en restent pas moins exceptionnelles. Dans la plupart des cas, en effet, le photographe se tient à bonne distance des insurgés. Les rares fois où ceux-ci apparaissent, ils sont de dos ou trop éloignés de l’objectif pour qu’une quelconque expression ne soit lisible sur leur visage. Le plus souvent, ils ne forment qu’une multitude indistincte. Les petites foules qui se pressent dans les rues, devant les édifices en flammes ou non loin de barricades semblent généralement constituées de badauds. Ce sont souvent des femmes ou des enfants, plus rarement des hommes, photographiés dans une attitude d’observateurs. C’est, en tout cas, une foule sans visages, constituée d’anonymes. On pourrait presque aller jusqu’à dire que l’immense majorité des photographies décrit une insurrection sans insurgés. Les prêtres morts dans l’incendie de leur église, les gardes civils qui se sont distingués au combat, les autorités civiles ou militaires ont leurs portraits dans les journaux. Les séditieux, quant à eux, n’ont pas de visages. Du reste l’Histoire ne retiendra le nom d’aucun d’entre eux, si ce n’est celui de Ferrer i Guardia dont les autorités voulurent faire le leader de l’insurrection bien qu’il n’y prît qu’une part limitée.

Privés de visages et d’identité, les insurgés n’ont à attendre des lecteurs des journaux illustrés aucune compassion. Au contraire, lorsque les photographies évoquent les émeutiers, ce n’est que pour mieux souligner leur caractère destructeur et violent. Néanmoins, une photographie publiée le 5 août dans la revue La Actualidad, suggère un récit de la « Semaine Tragique » quelque peu différent. On y voit la place de Granollers envahie par la foule. C’est le texte d’accompagnement qui permet d’interpréter l’image de piètre qualité : « Uno de los mitins que diariamente se celebraban en la Plaza Mayor, en los cuales la comisión revolucionaria ponía en antecedentes al pueblo del curso de los sucesos [Granollers] ». Alors que toutes les photographies de l’insurrection se veulent le reflet d’une violence anarchique et dévastatrice, celle-ci prend un caractère exceptionnel car elle suggère l’existence d’une coordination des révoltés et l’ébauche d’un embryon de pouvoir populaire. Elle confirme un phénomène dont la presse de l’époque ne se fait que très rarement l’écho : le passage d’un certain nombre de municipalités sous le contrôle de « Juntas revolucionarias » ou de « Comisiones revolucionarias ». Ce fut tout particulièrement le cas de Granollers où la photographie a été prise, ou de Sabadell, deux municipalités où, ainsi que le confirme l’historien Josep Pich Mitjana, « La revolución triunfó plenamente » (Pich Mitjana, 2015, p. 187). De toutes les photographies publiées par la revue, ce cliché de la place de Granollers était sans doute le plus à même d’inquiéter les tenants de l’ordre établi, car il donnait à la mutinerie les accents d’une véritable révolution politique et sociale. Néanmoins, il passe presque inaperçu, isolé dans une page dont la composition traduit plutôt une certaine confusion, et noyée dans la masse des photographies qui semblent ne retenir de la révolte que les pulsions destructrices qu’elle a pu déchaîner.

La Actualidad, 5 août 1909 © Biblioteca Nacional de España

 

Les images de la « Semaine Tragique » portant la trace de l’insurrection en acte sont donc exceptionnelles. Par ailleurs, même lorsqu’elles s’intéressent à l’événement lui-même, les photographies de la « Semaine Tragique » semblent se contenter de les raconter au passé. C’est ainsi qu’à défaut de pouvoir montrer la canonnade elle-même, la photographie d’un balcon noirci en désigne les conséquences. De même, si l’on peut déduire la violence des combats de la photographie intitulée « La setmana trágica. Dimars, 27 de juliol. – Un episodi de la lluita al Paralel », la lutte elle-même demeure suggérée. Il n’en subsiste que les cicatrices, comme cette carcasse d’un tramway calciné que l’on découvre dans une photo d’Enric Castellà publiée dans La Actualidad, datée du 27 juillet[6] puis reprise avec un cadrage légèrement différent dans La Veu de Catalunya du 7 août. Sous les yeux du lecteur s’affiche le résultat d’un épisode des combats dont seul le texte d’accompagnement peut rendre compte. La Actualidad légende la photo ainsi : « Restos de un tranvía incendiado en una de las calles del Ensanche », tandis que La Veu de Catalunya se veut plus précise tant sur la localisation des faits que sur leur déroulement : « La setmana trágica. Tranvía volcat dimars y cremat al capdemunt del carrer de Bailen, devant del de Sant Martí ». Il est d’ailleurs fréquent que le titre donné à la photographie vienne, en quelque sorte, à la rescousse de celle-ci pour la rattacher à un fait, qu’elle ne peut, à proprement parler, décrire. Il en va ainsi d’une photographie d’Enric Castellà publiée dans La Actualidad datée du 27 juillet et intitulée, « La muchedumbre detiene un tranvía en la Ronda de San Antonio, la tarde del día 26 ». On ne peut que s’interroger sur l’emploi du mot « muchedumbre » et sur l’usage du présent de l’indicatif (« detiene »), car la photographie ne montre pas, à proprement parler, une foule en action. Les attitudes de trois personnes, seulement, témoignent d’une certaine effervescence. On aperçoit, au centre, deux bras levés, devant le conducteur ; à gauche de la photographie, un homme court pour contourner le groupe ; au premier plan, un autre homme s’avance en direction du tramway. Bien qu’étant effectivement présente sur l’image, la foule est davantage dans une position de spectatrice et ce sont deux gardes civils à cheval qui occupent les rails du tramway. En d’autres termes, la légende évoque des faits qui ont probablement précédé le moment de la photographie. De fait, elle décrit une photographie qui n’existe pas ou du moins qui n’est pas exactement celle que l’on voit. Comme pour compenser ce temps de retard, les textes d’accompagnement se plaisent le plus souvent à insister sur le fait que le cliché a été pris peu de temps après l’incident, ce qui paradoxalement ne fait que renforcer l’impression d’un reportage post-factum.

La Actualidad, 27 juillet 1909 (photographies : Enric Castellà) © Biblioteca Nacional de España

 

Sans doute les difficultés pratiques que rencontre la photographie de presse pré-Leica et celles liées à la réalisation de reportages dans un contexte politique social tendu expliquent-elles l'absence quasiment d’« images-choc », c’est-à-dire d’images parvenant à saisir dans un événement l’un de ses instants paroxystiques. Mais le regard a posteriori que proposent les photographies n’est pas dénué d’intentionnalité politique. Entre les photographies et leur légende s’instaure ainsi une dialectique parfois subtile. À bien regarder la page de La Actualidad reproduite ci-dessus, on peut supposer que le lecteur est invité à établir un lien de cause à effet entre la légende de la photographie qui occupe la partie supérieure de la page et la photographie de la moitié inférieure, l’image du tramway calciné étant supposée la conséquence de l’action de la foule décrite dans la légende de la première photo. Il revient alors au lecteur d’imaginer les photographies manquantes, celles qui ne sont que suggérées par le texte et sur lesquelles on verrait le tramway arrêté par les insurgés puis incendié. La mise en page et les dimensions strictement identiques des deux clichés favorisent ce qu’en langage cinématographique on nommerait la « suture » entre les deux images. Néanmoins les légendes démentent cette chronologie suggérée par le montage, puisqu’elles révèlent que les photographies ont été prises dans deux lieux distincts. Dans de nombreux cas, on observe, comme ici, une forme de complémentarité entre image et texte. Le plus souvent, cette complémentarité fait sens : tandis que le texte évoque ce que fut le désordre, la photographie se veut rassurante et montre l’ordre restauré. C’est tout particulièrement le cas des photographies de barricades désertées par les insurgés qui disent déjà leur défaite.

De la révolte ne subsistent plus que les dommages causés aux bâtiments. Cet aspect retient rapidement toute l’attention de la presse et donc des photographes. Dans son numéro du 8 août 1909, la revue Ilustració Catalana explicite ses intentions dans ces termes : « Dexem de banda les escenes de coaccions, de revoltes, d’incendis, de profanacions, de pillatges… Volem fer veure principalment el dany causat a Barcelona : irreparable en el sentit del Art y de la Historia ». En règle générale, ce sont donc les dégâts causés par les insurgés que vont privilégier les photographies. Les images d’édifices en ruines – très majoritairement des églises ou des couvents - représentent 61,2% des photographies publiées par La Actualidad. Le chiffre s’élève à 85% pour La Ilustració Catalana et à 71% pour La Hormiga de oro, revue qui affiche dès son sous-titre – « ilustración católica » - son obédience catholique. L’intention est double : discréditer la révolte en l’associant aux saccages, aux pillages et aux profanations et, dans le même temps, rassurer le lecteur en renvoyant les exactions à un passé « heureusement » révolu, comme s’il fallait effacer au plus vite le souvenir d’une période troublée et incertaine. Ce second objectif explique que les images de la répression soient également peu nombreuses. Elles représentent 11,2% des photographies recensées dans les trois grandes revues illustrées que nous avons dépouillées. Mais encore convient-il de nuancer ce chiffre, tant il est vrai que les photographies d’actes de répression à proprement parler (pour l’essentiel, des images de prisonniers conduits par des gardes civils ou sous la garde de soldats) sont rares. Les occasions de photographier des scènes d’arrestation ne durent pourtant pas manquer quand l’on sait que la répression occasionna la détention de 3000 personnes. Tout aussi rares dans la presse sont les photographies de cadavres d’insurgés[7]. Le retour à l’ordre est signifié par des images de soldats démontant les barricades, posant devant des édifices publics ou défilant dans les rues pacifiées. Autant d’images qui, une fois encore, sont de nature à apaiser les inquiétudes des lecteurs. Cette mise en scène d’un rapide retour à la normale est parfaitement complétée par les photographies prises lors de messes promptement célébrées dans les décombres des églises. Dès le 17 août, La Actualidad publie la photographie par Moragas d’une « Misa celebrada el domingo por la mañana en el claustro del convento de los Felipons, de la calle del Sol, de Gracia, por haber sido quemada la iglesia ». Le 21 août, une autre photographie de Moragas est publiée dans La Hormiga de Oro avec pour légende : « Misa en el patio del Oratorio de PP. de San Felipe Neri de Gracia ». Puis, le 4 septembre, la même revue publie une photographie de Ballell intitulée : « BARCELONA.-Convento de PP ; Salesianos de la calle de Rocafort. Primera Misa después del incendio celebrada entre las ruinas del Claustro. » Il importe de vite refermer la cruelle parenthèse. Trois photographies d’Olivella, publiées dans La Actualidad du 24 août sont là pour prouver que la vie a retrouvé son cours normal. Intitulée respectivement « En el puerto.-Pesando algodón », « En el puerto.-Descargando madera » et « A bordo de un vapor transporte.- Levando anclas », ces trois clichés saluent la reprise de l’activité économique. La page révolutionnaire sera définitivement tournée par La Actualidad un an plus tard lorsque la revue publie, le 6 juillet 1910, six photographies d’édifices religieux reconstruits.

L’uniformité de la presse illustrée catalane dans le traitement iconographique de la « Semaine Tragique » souligne par contraste la singularité des choix éditoriaux d’une revue satirique comme La Esquella de la Torratxa. Sur un total de 14 clichés publiés, seuls 4 montrent des édifices religieux en ruines, tandis que 8 autres rendent compte de scènes directement en lien avec l’émeute. Sur la première page de l’édition du 2 août 1909, une photographie montre l’église de Santa Madrona en proie aux flammes, mais en page 2, la photographie légendée « Un moment de pánich [sic] al paralelo » prend un caractère véritablement exceptionnel[8]. L’image est floue et l’on peine à distinguer la foule qui s’enfuit, mais c’est cette mauvaise qualité de la photographie qui en fait le prix car elle est l’une des rares images à dire à la fois la fureur des combats et les risques pris par le photographe.

La Esquella de la Torratxa, 2 août 1909 © Ministerio de Educación, Cultura y Deporte

 

En page 4, ce n’est pas une église en ruines que nous montre le journal, mais la façade d’une fabrique de liqueur dévastée par l’incendie, donnant à voir un aspect de la révolte que le reste de la presse ignore le plus souvent, sa dimension sociale et politique[9].

Le journal omet cependant de donner les éléments qui nous permettraient aujourd’hui, plus d’un siècle après les faits, de bien comprendre l’incident. D’une part, il ne signale pas que le propriétaire de la fabrique était connu pour ses positions carlistes. D’autre part, il ne mentionne pas le fait que la destruction de l’usine aurait été décidée à la suite de rumeurs faisant état de coups de feu tirés en direction des grévistes depuis les toits de l’édifice (Pich Mitjana, 2015). Mais, l’on peut penser que le journal ne jugea pas nécessaire de livrer ces détails à des lecteurs qu’il estimait suffisamment bien informés de la réalité sociale et politique barcelonaise.

Toujours dans La Esquella de la Torratxa, la violence des combats est illustrée par des photographies de blessés, au nombre de quatre, et par l’image d’un tramway renversé. En dernière page, la revue se referme sur une photographie plus convenue de « L’iglesia de Sant Antoni y el Colegi dels Escolapios, després [sic]del incendi ». Ces différentes photographies tiennent lieu de récit des événements, le journal ayant renoncé à publier le compte-rendu imposé par les autorités et se limitant dans une note intitulée « Advertencia » à déplorer la censure qui ne permet pas de donner au lecteur « toutes les informations qu’il mérite ». Le titre sous lequel sont présentées les photographies, « La revolta de Barcelona », retient l’attention par sa neutralité (il n’est question ici ni de tragédie, ni de honte, ni de désastre) et par l’accent qu’il met sur la mutinerie elle-même. L’édition du 6 août 1909 n’est pas moins étonnante. En « Une », la photographie d’un convoi encadré par une foule nombreuse porte la légende suivante : « Trayent del Hospital Clínich un convoy de 63 morts ». A l’intérieur du journal, la photographie en pleine page d’une façade d’immeuble en partie détruite est accompagnée d’une brève explication : « Efectes del tiroteig en unas casas del carrer de Sant Pau ». La photographie d’une barricade et trois photographies d’édifices religieux détruits complètent ce récit en images des événements. Journal satyrique, républicain et anticlérical, La Esquella de la Torratxa, porte sur l’insurrection un regard incontestablement singulier. Si le caractère anticlérical de la révolte n’est pas esquivé, sa dimension sociale est également mise en évidence. Les clichés pris dans le vif de l’action racontent ces heures incertaines au cours desquelles les insurgés semblaient pouvoir se rendre maîtres de la ville. Enfin, l’hebdomadaire, évoquant les mouvements de panique, le transport des blessés et l’évacuation des morts, n’élude pas le bain de sang dans lequel s’est achevée la révolte.

Comme on peut le constater, le texte étant, en raison de la censure, soit absent, soit imposé par les autorités, les photographies se voient investies d’une double fonction, narrative et éditoriale. Leur succession décrit une ligne narrative relativement précise qui favorise une mise en récit des événements. Cette mise en récit n’est évidemment pas neutre et, comme on a pu le voir aussi bien dans le cas de La Veu de Catalunya que dans celui de La Esquella de la Torratxa, les photographies sont le lieu où s’expriment les nuances politiques entre les différents organes de presse.

Il semble également que certains journaux illustrés madrilènes se soient distingués de leurs confrères barcelonais en portant sur la « Semaine Tragique » un regard sensiblement différent. Dans ses éditions datées du 28 juillet, du 4 août et du 10 août 1909, la revue madrilène Actualidades publie au total 35 photographies. Si on les répartit dans les trois catégories retenues précédemment, on obtient les données suivantes :

-       catégorie 1 (photographies correspondant à des scènes de mutinerie) : 37,2 %

-       catégorie 2 (photographies correspondant à des scènes de retour à l’ordre) : 17, 2 %

-       catégorie 3 (photographies de bâtiments en ruines) : 40 %

Bien que majoritaires, les photographies de bâtiments en ruines occupent une place nettement moins importante que dans les revues catalanes. En revanche, la révolte en elle-même apparaît beaucoup mieux documentée, comme si la distance géographique autorisait quelque audace en la matière. Les émeutiers seraient-ils moins effrayants vus de loin ? Ils sont présents, en tout cas (et désignés comme des « grévistes »), sur une photographie prise dans l’avenue du Paralelo montrant des travailleurs occupant les rails du tramway. La légende précise : « Los disturbios de anteayer. Los rieles del tranvía interceptados por los huelguistas en el Paralelo ». Tout aussi spectaculaire, une photographie de la foule qui a envahi la Calle del Carmen. Là encore, le texte d’accompagnement nous fournit l’explication : « Los huelguistas en la calle del Carmen imponiendo el cierre de tiendas y el paro de carruajes para agravar la huelga ». L’image d’un tramway couché sur le flanc, celle de gardes civils à cheval assurant le maintien de l’ordre et celle, enfin, d’un blessé conduit par la Croix-Rouge complètent un reportage dans lequel on note l’absence de toute photographie d’édifice religieux en flammes ou détruit. Le lecteur de la revue Actualidades devra attendre le 4 août pour mesurer l’ampleur des dégâts infligés par les insurgés au patrimoine religieux de la ville. Mais là encore, les photographies de la révolte retiennent l’attention. Actualidades publie à son tour la remarquable photographie de l’édification d’une barricade prise par Ballell et déjà publiée le 31 juillet dans La Hormiga de oro. Sur une autre photographie, l’on peut voir la barricade édifiée dans « la calle de San Pablo ». Une autre encore, montre des soldats déployés sur l’avenue du Paralelo. Une dernière montre un prisonnier conduit par des soldats. Parmi les 21 photographies publiées par Actualidades le 10 août, on en retiendra deux qui relèvent de la « photo-choc » dont on a vu qu’elle était pratiquement absente de la presse catalane. Ce sont deux clichés de format vertical signés de Matamala. Le premier est intitulé « Los incendiarios rebuscando entre los escombros de uno de los templos destruidos ». Le second a pour titre « Los sediciosos apedreando las ventanas del edificio de los Escolapios ». On est en présence de deux photographies prises dans le feu de l’action, ce que souligne, comme c’était le cas dans le titre de la photographie de Frederic Ballell, l’usage du gérondif dans les textes d’accompagnement.

 

Actualidades, 10 août 1909 (photographie : Matamala) © Biblioteca Nacional de España

La condamnation des « grévistes » devenus rapidement des « incendiaires » et des « séditieux » n’est pas moins virulente dans la revue madrilène que dans les illustrés catalans. Mais à la différence de son homologue catalane, la presse illustrée madrilène montre les insurgés dans l’action, faisant ainsi de l’insurrection une réalité beaucoup plus présente[10].

 

3. Les ruines photographiées

Ainsi que nous l’avons déjà suggéré, le motif du bâtiment en ruine domine très largement le corpus des photographies en lien avec la « Semaine Tragique ». Aux photographies publiées par la presse s’ajoute l’édition de collections de cartes postales. Les plus remarquables sont les collections de Magda J. V., « Sucesos de Barcelona. Julio 1909 » et « Conventos incendiados », ainsi que celle due à Àngel Toldrà i Viazo, intitulée « Sucesos de Barcelona, 26-31 juliol de 1909 », qui se compose de cent clichés non signés, mais dont certains avaient déjà fait l’objet d’une publication dans la presse (Boix, Gutsems, 2008 ; Romero, 2002). Ces dernières accordent aux décombres une attention toute particulière. L’investissement des ruines par la photographie n’est pas propre au traitement de la « Semaine Tragique ». Evoquant le corpus des photographies de la Commune de Paris, Quentin Bajac observe qu’en 1871, deux tiers des 1800 clichés déposés représentaient des décombres (Bajac, 2000, 6). Les données que nous avons pu établir s’agissant des photographies publiées dans la presse illustrée catalane font apparaître des proportions équivalentes. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de souligner et de condamner les pulsions destructrices que déchaînent les mouvements révolutionnaires. Le nombre de clichés d’édifices dévastés par les insurgés est donc, avant tout, le reflet du regard réprobateur que portent les photographes sur l’insurrection. La seule véritable spécificité que présente notre corpus tient à la place prépondérante qu’y occupe la représentation d’édifices religieux. De fait, on compta environ une centaine de bâtiments détruits, parmi lesquels une vingtaine d’églises, une trentaine d’écoles religieuses et autant de couvents (sur les près de 350 que comptait Barcelone à cette époque). Cette flambée anticléricale produisit à coup sûr une forte impression, ce que traduit le nombre de photographies sur ce thème. On ne peut écarter néanmoins la possibilité d’une surreprésentation de ce motif liée à la volonté de réduire la révolte à son caractère anticlérical et de faire ainsi passer au second plan ses dimensions sociales et politiques, tout particulièrement l’anticolonialisme et l’antimonarchisme.

Sont particulièrement spectaculaires les clichés pris depuis des promontoires, une terrasse ou un balcon, et qui permettent de visualiser l’édifice en partie effondré. Certains d’entre eux évoquent presque des images de guerre.

La Ilustració Catalana, 8 août 2009, (photographies : Adolf Mas) © Biblioteca Nacional de España

D’autres, tout aussi saisissants, nous font pénétrer à l’intérieur même du bâtiment afin de mesurer l’ampleur des destructions. En la matière, les photographes de la « Semaine Tragique » semblent avoir puisé leur inspiration dans l’abondante iconographie des ruines de la Commune de Paris. On retrouve notamment dans leurs œuvres cette « esthétique des ruines » propre aux clichés des destructions de Paris, dont la proximité avec la photographie d’architecture a souvent été soulignée (Fournier, 2006, 137-151).

 

La Ilustració Catalana, 8 août 2009 (photographies : Adolf Mas) © Biblioteca Nacional de España

On est en présence de photographies statiques d’où les figures humaines sont presque toujours absentes à l’exception de quelques soldats au premier plan, saisis dans des postures figées, et dont la présence semble être principalement destinée à rendre compte de la monumentalité des édifices. Souligner le caractère monumental des bâtiments détruits semble du reste une préoccupation constante du photographe qui privilégie les formats verticaux, mais aussi de l’éditeur qui multiplie les images en pleine page. On n’est pas loin de l’esprit de la photographie d’art qui était abondante, on le sait, dans les revues illustrées du début du siècle. On ne peut, du reste, ignorer qu’un photographe comme Adolf Mas, grand pourvoyeur de photographies de ruines pour l’Ilustració Catalana s’était fait connaître auparavant dans ce registre. Dans le même ordre d’idée, on remarque également la présence, dans la revue La Actualidad du 5 août, de reproductions d’œuvres d’art détruites par les insurgés. Ainsi ces derniers paraissent-ils d’autant plus barbares qu’ils ont osé s’en prendre à un patrimoine dont l’exceptionnelle valeur est exaltée aussi bien par les images que par les commentaires. Le 24 août, La Actualidad publie des photographies de détails des chapiteaux de l’église San Pedro de las Puellas accompagnées du texte suivant :

Capitel de la época de Ludovico Pío (año 801), uno de los más antiguos é interesantes de Barcelona. – Capitel románico de gran interés arqueológico, correspondiente á una de las columnas del crucero.

 

Sur la même page un court texte plaide pour la restauration de l’église :

La alarmante noticia de que iba á ser sustituida por una nueva iglesia la que tanto daño sufrió durante los últimos sucesos, ha impresionado á todos los amantes de las Bellas Artes. Los importantes elementos arqueológicos en ella existentes, únicos en su especie, deben ser piadosamente conservados, si no se quiere liquidar con un nuevo atentado la ciega barbarie de las turbas incendiarias.

 

À lire ces lignes, on comprend que les insurgés sont coupables d’un crime qui s’ajoute à celui qu’ils ont commis contre l’Eglise : la destruction du patrimoine archéologique et artistique de la Catalogne.

La Actualidad, 5 août 1909 © Biblioteca Nacional de España

Les différentes photographies publiées dans la presse graphique de l’époque présentent une valeur testimoniale évidente. Toutefois, la prudence est de mise dès lors qu’il s’agit d’utiliser la photographie comme mode de questionnement historique, car, on le sait, elle ne saurait être considérée comme un enregistrement objectif des faits (Burke, 2001). Les vertus documentaires des photographies que nous avons étudiées se situent moins dans leur supposée puissance indicielle et dans leur aptitude à reproduire la réalité que dans la dimension de fabrication qui est la leur. En d’autres termes, les photographies de la « Semaine Tragique » apportent moins d’informations sur les événements eux-mêmes que sur le récit qu’en fait la presse. Il va de soi que nombre de clichés pris durant la « Semaine Tragique » ne furent pas publiés et que ceux qui le furent obéissaient à des partis pris éditoriaux. C’est pourquoi, loin d’être un œil témoin, dépassionné, la photographie participe au discours de condamnation qui domine une presse qui, dans son ensemble, ne rechigne pas à se faire l’auxiliaire des autorités et de l’armée. La stratégie qui consiste à ne retenir de la « Semaine Tragique » que le saccage des édifices religieux afin de susciter l’horreur et l’indignation a déterminé, comme on l’a vu, des pratiques précises, telles que le choix des sujets ou des compositions. Elle a conduit aussi à éliminer les principaux protagonistes de cette semaine révolutionnaire : les travailleurs en grève, les émeutiers, les membres des « Juntas revolucionarias » qui se formèrent ici et là. Et les femmes. Elles sont pratiquement ignorées des photographes alors même que l’on sait le rôle qu'elles jouèrent dans le déclenchement des émeutes, refusant de voir leurs fils ou leurs maris s’embarquer pour le Maroc. Les rares fois où elles apparaissent, elles sont cantonnées aux rôles de spectatrices au même titre que les enfants, présents sur quelques clichés. Seules exceptions, les photos d’Enric Castellà, déjà évoquées, où hommes et femmes mêlés célèbrent la révolution sur les barricades.

 

4. En guise d’épilogue : une photographie « historique »

Toutes les photographies que nous venons d’évoquer avaient pour objectif de marquer les esprits. Elles ont contribué sans doute à perpétuer parmi les classes privilégiées le souvenir horrifié de cette semaine révolutionnaire. Il semble cependant que l’une d’elles se soit imposée comme l’image emblématique de la « Semaine Tragique ». Elle apparaît sur l’écran de l’ordinateur dès qu’on lance une recherche informatique sur les événements ; elle est citée dans le documentaire Som i serem de Jordi Feliu (1982) et elle apparaît sous la forme d’une reconstitution dans plusieurs films historiques ; elle illustre d’innombrables ouvrages d’historiens et orne la couverture du roman Barcelona trágica d’Andreu Martín (Martín, 2009). Prise depuis la montagne de Montjuic, ce cliché réalisé par Enric Castellà offre une vision surplombante de la ville d’où s’élèvent d’épaisses colonnes de fumées.

La Actualidad, 5 août 1909 (photographie : Enric Castellà) © Biblioteca Nacional de España

On ne saurait dire si, en prenant ce cliché, le photographe eut le désir ou la conscience de travailler pour l’Histoire. Pourtant c’est sur deux pages et surmontée du titre de « Una fotografía histórica » qu’elle paraît pour la première fois dans la revue La Actualidad, le 5 août. Un an plus tard, le 26 juillet 1910, à l’occasion de la date anniversaire des événements, la revue en offre une version colorisée.

 

La Actualidad, 5 août 1909 (photographie : Enric Castellà) © Biblioteca Nacional de España

Indépendamment de cette tentative d’imposer cette photographie comme l’image emblématique de la « Semaine Tragique », sans doute passa-t-elle à la postérité du fait de l’impression qu’elle donnait d’une ville toute entière en proie à la violences et aux incendies. Elle dut pourtant rivaliser avec d’autres images relativement semblables prises depuis des balcons dominant la rue ou depuis des terrasses. Ces différents clichés suggèrent le rôle stratégique que jouèrent ces lieux d’observation privilégiée du « spectacle » à la fois fascinant et effrayant pour la bourgeoisie de la ville insurgée. En première page de la revue La Campana de Gracia, datée du 31 juillet, un dessin signé de Picarol offre, en quelque sorte, le contre champ de toutes ces photographies. On y voit trois hommes contemplant Barcelone depuis une terrasse surplombant la ville. Comme dans un condensé de la photographie de Castellá et du dessin de Picarol, la scène de la bourgeoisie barcelonaise observant depuis les hauteurs la cité en flammes est reprise par nombre de films historiques. Elle donne lieu à l’une des séquences les plus mémorables de La Ciudad de los prodigios (1999) de Mario Camus. De même, on ne manque pas de témoignages ni de récits romancés décrivant une situation qui rend compte de manière métaphorique de la position dominante d’une classe sociale qui se tient à bonne distance d’événements dont elle veut croire qu’ils ne la concernent qu’à peine. Ajoutons que cette vision spectaculaire, presque à vol d’oiseau, de la ville insurgée en proie aux flammes, n’est pas sans précédent. Là encore la Commune de Paris sert d’antécédent. Comment ne pas trouver quelque similitude entre la photographie de Castellà et la gravure photographiée et retouchée que Numa fils réalise lors de la « Semaine sanglante » et intitulée « Paris incendié » (Tillier, 2018) ?

« Paris incendié », Numa fils, © Saint-Denis, musée d’art et d’histoire – Cliché I. Andréani

La photographie de la « ciutat cremada » pour reprendre le titre du film d’Antoni Ribas (1976), se nourrissant du souvenir horrifié de la « Semaine Sanglante », et peut-être aussi du récit mythique du gigantesque incendie de la ville de Troie, de l’évocation du grand incendie de Rome ou de la destruction de Constantinople, allait perpétuer pour longtemps une vision dantesque de la « Semaine Tragique ».

 

5. Cadre de l’enquête

La presse catalane a retenu toute notre attention, car elle a naturellement été la plus prompte à offrir à ses lecteurs des images des événements. Pour les nécessités de cette étude, nous avons procédé au dépouillement des journaux et périodiques suivants

-       La Vanguardia

-       La Veu de Catalunya

-       La Campana de Gracia

-       La Esquella de Torratxa

-       La Actualidad

-       La Ilustració Catalana

-       La Hormiga de Oro

-       !Cut-Cut !

-       Papitu

 

La période considérée s’étend sur une année, du 1er août 1909 au 1er août 1910, sachant que, durant la « Semaine Tragique » elle-même, aucun journal ne paraît à Barcelone.

 

Bibliographie

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[1] Les événements dont il sera question ici furent tour à tour désignés comme  « Sucesos de Barcelona », « Semana Roja », « Semana Triste », « Revolta de Barcelona », « Fets Vandàlics »…, mais c’est finalement sous celui de « Semana trágica» qu’ils passèrent à la postérité. On perçoit, à travers ces hésitations, combien nommer un événement revient en quelque sorte à en donner une interprétation particulière. En s’imposant finalement, grâce notamment au concours d’une presse le plus souvent hostile aux insurgés, l’expression « Semaine Tragique » n’a finalement voulu conserver que la conclusion dramatique de ces journées, évacuant par la même occasion les potentialités révolutionnaires et les rêves de radicalité qu’elles avaient pu faire naître. Le mot « semaine » enferme, quant à lui, l’événement dans une chronologie restreinte et semble le limiter à une courte parenthèse, une sorte d’interruption regrettable du cours des choses. Ce n’est donc pas sans réserves que nous adoptons pour cet article l’expression « Semaine Tragique ».

[2] Pour disposer d’une approche globale des photographies de la “Semaine Tragique”, on pourra consulter le remarquable catalogue publié à l’occasion de l’exposition 1909. Fotografia, ciutat I conflicte, Arxiu Fotogràfic de Barcelona, 2009.

[3] La façon dont la presse a rendu compte de la “Semaine Tragique” a fait l’objet d’une étude de Céline Mutos Xicola, “La Semana Trágica de Barcelona a través de la prensa Española y Francesa”, https://www.academia.edu/16564575/La_Semana_Tragica_de_Barcelona_a_traves_de_la_prensa_Española_y_Francesa. Consulté le 23 avril 2018.

[4] Le journal n’hésitera pas à appeler ses lecteurs à la délation.

[5] La Ilustració Catalana, n° 323, 15 août 1909, p. 462.

[6] La date du 27 juillet est sujette à caution. Francesc Espinet signale très justement que certaines des photographies présentes dans ce numéro ont été prises le 26, le 27 ou le 28 juillet (Espinet Burunat, 2012.)

[7] Ces images morbides existent néanmoins et furent parfois diffusées sous la forme de cartes postales.

[8] Le photographe n’est pas crédité.

[9] Il faut toutefois signaler la présence, dans la revue Ilustración Catalana du 8 août, d’une photographie de l’intérieur de l’usine détruite, à laquelle s’ajoutent deux photographies d’une centrale électrique incendiée.

[10] Il faut quitter l’Espagne pour trouver des photographies prises du point de vue des émeutiers. À la « Une » de L’Humanité du 30 juillet 1909, la photographie d’une « Manifestation de grévistes sur la Rambla à Barcelone » illustre un article intitulé « A bas la guerre ! Désastre Militaire et Guerre civile ». La « Révolution espagnole » occupe la « Une » du journal de Jean Jaurès durant plusieurs jours, mais les photographies restent rares.